COMITE MONETAIRE ET FINANCIER INTERNATIONAL
Déclaration de l’honorable Salah-Eddine Taleb, Gouverneur de la Banque d’Algérie Au CMFI, Au nom de l'Algérie, du Ghana, de la République islamique d'Iran, de la Libye, du Maroc, du Pakistan et de la Tunisie.
31 Octobre 2024
Après quatre années de permacrise, l’économie mondiale montre des signes de stabilisation, bien que des risques et une incertitude persistants continuent de peser. L’activité économique des principales économies se rapproche graduellement de son potentiel, orientant ainsi l’économie mondiale vers un atterrissage en douceur. Les avancées vers la désinflation, soutenues par un resserrement monétaire d’une ampleur inédite dans les grandes économies, sont également prometteuses, et les cibles d’inflation apparaissent atteignables, bien que la dernière phase du processus demeure complexe en raison d’une dynamique inflationniste spécifique. Le recul des prix internationaux des produits de base a contribué à cet effort de désinflation, tout comme l’augmentation de la main-d’œuvre migrante dans certaines économies avancées, qui a permis de limiter la pression haussière sur les salaires. Il est aussi encourageant de noter que la désinflation sur les deux dernières années ne s’est pas accompagnée de pertes d’emplois significatives dans les principales économies, bien que la persistance de taux d’intérêt « élevés pour longtemps » ait amplifié les risques pesant sur la stabilité financière, tout en alourdissant les coûts de service de la dette, impactant les taux de change et les flux de capitaux vers de nombreux marchés émergents et économies en développement.
Avec une production au niveau du potentiel et une inflation atteignant ou se rapprochant des objectifs, la politique monétaire pourrait se diriger, de manière mesurée, vers une position neutre basée sur les données économiques. Une fois l’inflation sous contrôle, le cadre de politique macroéconomique devra également privilégier un assainissement budgétaire propice à la croissance, afin d’assurer la viabilité de la dette et d’aider les économies à échapper aux trappes de faible croissance et d’endettement élevé qui affectent de nombreux pays, grands ou petits, riches ou pauvres. À moyen terme, les perspectives de croissance demeurent modestes dans de nombreuses économies avancées et émergentes, dont certaines font face à un endettement élevé. Dans ce contexte, des réformes structurelles ambitieuses sont indispensables pour relancer la productivité et accroître le potentiel de croissance dans la plupart des pays, en complément des efforts d’assainissement budgétaire qui traitent la viabilité de la dette de manière spécifique à chaque nation. En parallèle, les politiques budgétaires devront prioriser la protection sociale ainsi que la réduction des inégalités de revenus et de genre, au regard de la reprise inégale post-crise, qui a exacerbé les disparités tant entre les pays qu’au sein de ceux-ci.
Bien que les perspectives globales offrent des signes encourageants, des motifs d’inquiétude majeurs demeurent, l’équilibre des risques pour l’économie mondiale ayant basculé vers la baisse depuis notre dernière réunion. En effet, les risques régionaux découlant de l’escalade rapide de la guerre d’Israël contre la Palestine et le Liban atteignent un niveau sans précédent depuis plusieurs décennies. L’ampleur de la catastrophe humanitaire, marquée par des pertes insondables de vies humaines, et la souffrance humaine, la faim et les maladies infantiles, ainsi que les déplacements massifs de populations en Palestine et au Liban, n’ont pas d’équivalent. Si toutes les guerres sont tragiques, la tragédie de la guerre contre la Palestine et le Liban revêt un caractère unique et vraiment sans précédant dont les conséquences se feront sentir sur plusieurs générations. À ces risques s’ajoutent la persistance de la guerre en Europe, la fragmentation géoéconomique et géopolitique, la multiplication des chocs climatiques majeurs et la persistance de conditions financières mondiales tendues. Chacun de ces éléments, ou une combinaison de ceux-ci, pourrait compromettre les perspectives économiques de la région et au-delà. Les facteurs susceptibles d’améliorer la situation demeurent rares. Une cessation immédiate de toutes les hostilités et l’établissement d’une paix durable en Europe et au Moyen-Orient constituent la première pierre pour une prospérité mondiale et une stabilité économique et sociale durables.
Dans ce contexte mondial incertain et soumis à de multiples chocs, la situation de nombreux pays à faible revenu et économiquement vulnérables demeure préoccupante. Confrontés à des défis tels que l’insécurité alimentaire, la pauvreté, les catastrophes climatiques et de graves problématiques de développement, ces pays subissent des niveaux d’endettement élevés et des coûts de service de la dette contraignants. De plus, la diminution rapide des aides extérieures et des prêts concessionnels de sources traditionnelles freine significativement leurs avancées vers la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030. À mi-parcours de la décennie, les ODD échappent déjà à la portée de bon nombre de ces pays, malgré leurs efforts budgétaires et les réformes structurelles engagées. Reflétant directement et indirectement les chocs mondiaux et les contraintes de financement, il est probable que la décennie des années 2020 devienne une décennie perdue pour les ODD.
Cependant, il est essentiel que les bailleurs bilatéraux et les institutions financières internationales (IFI), y compris le Fonds, maintiennent l’engagement sur ces enjeux et contribuent à poser les fondations pour la prochaine génération d’ODD. En ce sens, nous saluons l’initiative du FMI de renforcer les efforts internationaux en vue de remédier aux pénuries de liquidités et de garantir le financement des dépenses liées aux ODD. L’approche tripartite, proposée conjointement par le FMI et la Banque mondiale, qui intègre les réformes structurelles, la mobilisation des ressources nationales, le traitement de la dette, ainsi qu’un soutien financier adéquat des IFI et des partenaires de développement, est particulièrement bienvenue. De plus, les mesures visant à encourager les investissements directs étrangers et d’autres flux de capitaux privés non générateurs de dette constituent un élément essentiel de cette stratégie, car c’est bien la combinaison de ces leviers qui assurera la réussite des efforts de développement.
Notre circonscription inclut des économies émergentes et frontalières, regroupant des exportateurs et des importateurs de pétrole. Dans un contexte de marchés internationaux du pétrole et du gaz traditionnellement volatils, et fortement influencés par les guerres en Europe et au Moyen-Orient ces dernières années, les pays exportateurs d’énergie font face au défi de créer des marges budgétaires suffisantes pour soutenir leurs plans de diversification à long terme, alors que l’économie mondiale s’éloigne des combustibles fossiles. Les périodes de vigueur des marchés de l’énergie offrent une opportunité stratégique pour accélérer ce processus.
Les pays importateurs de pétrole et de gaz de notre circonscription s’engagent dans des ajustements et réformes économiques, bénéficiant des orientations politiques ainsi que de l’appui technique et financier du FMI, dans le but de garantir la viabilité de leurs finances publiques et de leur dette, tout en ancrant leurs économies sur une trajectoire de croissance et de développement durable. La lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités de revenus demeurent également des priorités essentielles pour ces économies. En outre, plusieurs pays de notre circonscription accueillent un nombre croissant de réfugiés politiques, économiques et climatiques, générant des coûts budgétaires élevés et des risques potentiels de tensions sociales. La situation des réfugiés appelle une attention renforcée de la communauté internationale, et les efforts humanitaires nécessitent une coopération internationale accrue. Les réfugiés relèvent de notre responsabilité collective.
Nous tenons à saluer la direction et le personnel du FMI pour leur agilité, flexibilité, créativité et proactivité, qui ont permis d’aider les membres à surmonter les crises récentes. Le FMI a su répondre aux crises de manière opportune et proportionnée en adaptant ses outils et instruments, en augmentant ses ressources de prêt et en élargissant ses limites d’accès pour mieux répondre aux besoins évolutifs de ses membres. Dans ce cadre, nous saluons les récents examens du Conseil d’administration concernant la politique du FMI sur les charges et surcharges, qui ont permis de réduire les coûts supportés par les emprunteurs sur le Compte des ressources générales ; le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, qui a renforcé de manière significative la capacité de prêt aux pays à faible revenu ; ainsi que les facilités de précaution, qui demeurent adaptées à leurs objectifs. Le FMI sera certainement à nouveau sollicité, nous l’espérons à plus long terme, pour accompagner les membres dans la gestion de chocs externes, y compris climatiques, dont la fréquence et l’intensité devraient croître.
Le Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (RST) du FMI s’est imposé comme un instrument central et un ajout essentiel aux outils du Fonds pour aider les membres à renforcer leur résilience face aux chocs climatiques. L’extension de son champ d’action à la préparation aux pandémies, en collaboration avec la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé, est à la fois opportune et bienvenue. Créé pour offrir un financement à long terme abordable, le RST vise à aider les membres à relever des défis structurels de long terme, qui, dans le cas de nombreux pays à faible revenu, dépassent les enjeux du changement climatique et de la préparation aux pandémies pour inclure des défis tout aussi fondamentaux, tels que la création d’emplois, la réduction de la pauvreté et l’égalité des sexes et des revenus. Nous encourageons le Conseil d’administration à envisager une extension du champ d’application et du mandat du RST lors de son prochain examen global de cette facilité.
Le recul de la mondialisation observé ces dernières années suscite de vives préoccupations. Des signes de fragilisation de l’intégration économique mondiale étaient déjà perceptibles avant la pandémie, ainsi que les récentes crises économiques et géopolitiques. La fragmentation géoéconomique croissante, la formation de blocs commerciaux alignés sur des clivages politiques, la montée du protectionnisme, et le repli des politiques industrielles sur elles-mêmes menacent d’anéantir les gains de bien-être accumulés au cours des dernières décennies. Ces évolutions perturbent les échanges commerciaux et financiers, en augmentent les coûts et entravent la transmission des connaissances et des technologies, créant ainsi une situation perdant-perdant. Bien que le point de bascule ne soit peut-être pas encore atteint, nous nous en rapprochons rapidement. Seule une coopération internationale renforcée, un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme et des efforts soutenus de la part de toutes les parties permettront de ralentir, voire de renverser ce processus. Notre circonscription demeure résolue à collaborer étroitement avec l’ensemble des membres dans cet effort, au service de l’intérêt commun.
Nous demeurons fermement attachés à un FMI financièrement solide et doté de ressources adéquates, occupant une place centrale dans le filet de sécurité financier mondial. Le FMI doit continuer d’être une institution essentiellement financée par les quotes-parts de ses membres, et nous sommes résolus à obtenir, dans les délais impartis, l’approbation nécessaire pour une augmentation des quotes-parts dans le cadre de la 16e révision générale. Il est essentiel que le FMI demeure une institution représentative, s’engageant à traiter équitablement l’ensemble de ses membres, quel que soit le domaine ou la dimension abordée.
Nous saluons la création d’une troisième présidence pour l’Afrique subsaharienne, qui reconnaît l’importance accrue de la voix de cette région au sein du conseil d’administration du FMI. En outre, nous exprimons l’espoir que d’ici notre prochaine réunion en avril, les incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale auront diminué, nous permettant d’envisager une période durable de stabilité économique et sociale à l’échelle mondiale.