
COMITE MONETAIRE ET FINANCIER INTERNATIONAL
Déclaration de Monsieur le Gouverneur Salah-Eddine Taleb à la cinquante et unième réunion du « Comité Monétaire et Financier International » 24 - 25 avril 2025
Déclaration de M. Salah-Eddine Taleb, Gouverneur de la Banque d’Algérie, au nom de l’Algérie, du Ghana, de la République islamique d’Iran, de la Libye, du Maroc, du Pakistan et de la Tunisie
L’économie mondiale se trouve aujourd’hui à un tournant critique et dans un état de mutation profonde. Le niveau exceptionnellement élevé d’incertitude entourant les politiques économiques, conjugué à une reconfiguration rapide et majeure des flux commerciaux et de capitaux à l’échelle internationale, résulte des restrictions commerciales massives – et des mesures de rétorsion qui en ont découlé – imposées par les principales économies, historiquement moteurs de la croissance mondiale. Alors que l’économie mondiale s’orientait vers un atterrissage en douceur à la suite des crises récentes, et que la désinflation globale semblait progresser de manière maîtrisée, ces évolutions sont aujourd’hui mises en péril. Nous assistons, à un rythme que l’on n’aurait pas cru possible il y a encore quelques mois, au démantèlement du multilatéralisme tel que nous l’avons connu et encouragé depuis des décennies. Nous avons tous bénéficié – à des degrés divers – du système commercial multilatéral fondé sur des règles.
Toutefois, il convient d’être clair : il n’existe aucun gagnant dans cette course vers le bas que constitue la guerre commerciale en cours, laquelle ne fait qu’accentuer les clivages géoéconomiques et géopolitiques mondiaux. Nous avons surmonté une pandémie d’une ampleur centennale, ainsi que les chocs qui ont suivi, grâce à une coopération internationale animée par un sens partagé de l’intérêt commun. Nous ne pourrons surmonter la crise actuelle que par le recours à la même démarche rigoureuse.
Il se peut toutefois que certains dommages soient irréparables, tant la confiance érodée sera difficile à rétablir. Dans cet environnement mondial hautement incertain et chargé de risques, nous attendons du Fonds monétaire international qu’il demeure – comme il l’a toujours été – un ardent défenseur du libre-échange et une voix forte en faveur du multilatéralisme.
La crise tarifaire et commerciale, ainsi que l’absence plus générale de clarté dans les politiques économiques, ont déjà eu des répercussions sur d’autres marchés, se traduisant par une volatilité financière inhabituelle et une perte de confiance envers certains actifs traditionnellement considérés comme des valeurs refuges. Si les pays directement touchés par les turbulences commerciales et financières en assumeront le coût principal – qui pourrait être élevé –, aucun État ne sera totalement épargné, compte tenu de l’interconnexion étroite des réseaux économiques, financiers et logistiques mondiaux. Dans la région du MENAP, l’impact se fera principalement ressentir par une baisse de la demande extérieure en biens et services, ainsi qu’un durcissement des conditions financières mondiales, affectant notamment les emprunteurs importants de la région.
- Pour les pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région MENA, y compris ceux relevant de notre circonscription, une production pétrolière qui demeurera probablement modérée dans un contexte de volatilité des marchés internationaux devrait être partiellement compensée par la vigueur du secteur non pétrolier, permettant ainsi de soutenir la dynamique de croissance. Toutefois, cette dynamique s’accompagnera d’un affaiblissement des positions extérieures et d’un recul des marges de manœuvre extérieures. Il est impératif, pour ces pays, de s’ajuster à des revenus moindres provenant des hydrocarbures, en s’efforçant d’assurer la viabilité budgétaire et de la dette à travers des réformes fiscales ciblées, tout en poursuivant résolument leurs efforts de diversification économique au moyen de réformes structurelles.
- Pour les pays importateurs de pétrole de la région MENAP, y compris ceux de notre circonscription, certains étant engagés dans un processus d’ajustement et de réformes avec l’appui technique et financier du Fonds, la baisse des prix du pétrole offre certes un répit temporaire. Néanmoins, cette évolution ne doit en aucun cas détourner l’attention de l’impératif de consolidation budgétaire et de renforcement des marges de sécurité, dans un contexte mondial marqué par une incertitude croissante et la menace persistante de tarifs douaniers élevés.
L’ensemble des membres de notre circonscription continueront de s’appuyer sur les conseils de politique économique du Fonds toutefois, compte tenu de leurs situations conjoncturelles respectives, de leurs caractéristiques structurelles propres et du degré de leur exposition aux chocs actuels, des recommandations différenciées et adaptées sont essentielles. Certains pays de notre circonscription ont été injustement ciblés par des droits de douane élevés imposés par les États-Unis – actuellement suspendus – qui, s’ils venaient à être appliqués, auraient des effets profondément négatifs sur leurs économies.
Les économies émergentes et en développement (EMDE), et plus particulièrement les pays à faible revenu (PFR), sortent des crises récentes avec un niveau d’endettement élevé qui les rend extrêmement vulnérables à une nouvelle phase de ralentissement mondial, à la stagnation des échanges, à l’augmentation des coûts de financement et à la baisse de l’aide publique au développement (APD). Des mesures ont déjà été mises en œuvre pour aider les EMDE à faire face à leurs défis en matière de dette – notamment dans le cadre du traitement de la dette prévue par le Cadre commun. Toutefois, au regard de l’ampleur et de la complexité du fardeau d’endettement auquel ces pays sont confrontés, ces efforts doivent impérativement être élargis et renforcés.
Dans cette optique, nous attendons avec intérêt les avancées des travaux de la Table ronde mondiale sur la dette souveraine, afin de traiter les vulnérabilités en matière d’endettement et les défis associés à la restructuration. Nous saluons également l’approche en trois piliers proposée conjointement par le FMI et la Banque mondiale, visant à répondre aux pressions sur le service de la dette dans les pays dont la dette est jugée soutenable, mais qui font face à des contraintes de liquidité compromettant le financement de leurs besoins de développement. De nombreux PFR ont déjà pris un retard important dans la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030, en partie à cause du déclin de l’appui financier extérieur concessionnel. La tendance à la baisse de l’APD s’observe depuis plusieurs années, mais l’arrêt brutal de l’aide humanitaire – notamment dans des domaines aussi vitaux que la santé, la mortalité infantile, la lutte contre la faim et la malnutrition – entraînera des pertes humaines tragiques et massives dans les pays les plus vulnérables.
Au regard du niveau élevé d’incertitude et des risques baissiers pesant sur l’économie mondiale, le Fonds monétaire international est appelé à renforcer davantage son action en matière de surveillance, à consolider son dispositif de prêt ainsi que le Réseau mondial de sécurité financière (GFSN), et à intensifier ses efforts en matière de développement des capacités. Le Fonds devra maintenir la réactivité et la flexibilité exemplaires dont il a fait preuve lors des récentes crises mondiales. Plusieurs révisions stratégiques majeures sont attendues, dans le but d’assurer que le Fonds conserve une longueur d’avance face à l’évolution des défis. Dans ce contexte, nous saluons les travaux en cours relatifs à la Revue complète de la surveillance, à l’évaluation des programmes de diagnostic du secteur financier (FSAP), ainsi qu’à la révision de la conception des programmes et des conditionnalités, afin de renforcer encore l’efficacité des programmes appuyés par le FMI.
Au fil des années, le Fonds a accompli des avancées notables en intégrant de manière structurée et crédible les dimensions macroéconomiquement critiques que sont le changement climatique, l’égalité de genre, une répartition équitable des revenus, ainsi que le développement des compétences. Il les a judicieusement intégrées à ses analyses, à ses recommandations de politique économique et à ses dispositifs d’assistance technique et financière. Nous attendons du Fonds qu’il poursuive avec la même rigueur analytique et stratégique son engagement sur l’ensemble de ces thématiques. Enfin, nous réaffirmons notre attachement à un FMI solide, reposant sur un système de quotes-parts, disposant de ressources adéquates, et occupant un rôle central au sein du Réseau mondial de sécurité financière. Nous encourageons les membres n’ayant pa encore finalisé leurs procédures internes d’approbation de l’augmentation des quotes-parts dans le cadre de la 16ᵉ Revue générale des quotes-parts à achever ce processus dans les meilleurs délais, afin de permettre l’entrée en vigueur des nouvelles quotes-parts dans ce contexte critique d’incertitude mondiale accrue.
Nous réaffirmons également notre conviction selon laquelle le FMI doit demeurer une institution représentative, attachée à un traitement équitable et impartial de l’ensemble de ses membres, quel que soit le sujet abordé ou la dimension considérée. Les travaux préparatoires à la 17ᵉ Revue générale des quotes-parts devront être menés dans cet esprit et guidés par cette même volonté.