Stabilité financière et développements du secteur bancaire en Algérie :
Leçons à tirer de la crise financière internationale, par Dr. Mohammed LAKSACI, Gouverneur de la Banque d'Algérie Communication à la rencontre avec les Présidents et Directeurs Généraux des Banques et des Établissements Financiers

2008

1. De la stabilité macro financière
 
Les performances économiques enregistrées par l’Algérie durant la période 2001-2007 ont confirmé la solidité marquée du cadre macroéconomique, après le retour à la stabilité macro financière en 2000.
 
Malgré un environnement extérieur défavorable, les développements économiques et financiers au cours de l’année 2008 s’inscrivent dans cette tendance, à en juger par :
 
une croissance soutenue du produit intérieur brut (PIB) hors hydrocarbures, estimée à 6 % en 2008 (sensiblement le même taux, 6,3 %, enregistré en 2007), tirée principalement par les programmes d’investissements publics dont le premier a été lancé dès le second semestre 2001. Ces programmes comportent, aujourd’hui, d’importants projets d’infrastructure, contribuant notamment à l’amélioration du climat des investissements des entreprises ;

une inflation maîtrisée à 4,3 % en moyenne annuelle à novembre 2008 (contre 3,5 % en 2007) pendant que les tensions inflationnistes se sont
accentuées depuis mi 2007 dans les pays émergents et en développement, atteignant, dans certains cas, des taux à deux chiffres en 20072008 ;
une absorption effective par la Banque d’Algérie de la très forte liquidité en excès sur le marché monétaire, par le biais de nouveaux instruments de politique monétaire (reprises de liquidité, facilité de dépôts, …), contribuant ainsi à endiguer l’effet inflationniste de l’excès de liquidités ;
une position financière extérieure nette confortable, ancrée sur un niveau de réserves de change qui a atteint 138,345 milliards de dollars EU à fin novembre 2008, alors que la dette extérieure à moyen et long terme n’est plus, à cette date, que d’environ 4 milliards de dollars EU. Les importants remboursements par anticipation de dette extérieure effectués principalement en 2006 ont, en effet, significativement contribué à asseoir le faible endettement extérieur comme élément important de résilience à moyen terme aux chocs externes ;
des taux de change effectifs nominal et réel relativement stables et proches du niveau d’équilibre. Sur les onze premiers mois de l’année 2008, en moyenne, le taux de change effectif réel et le taux de change nominal se sont appréciés respectivement de 1% et 2 % malgré l’extrême volatilité des taux de change des pays partenaires ;
une situation des finances publiques solide avec un surplus budgétaire global estimé à 9 % du PIB en 2008 contre 4,9 % du PIB en 2007. De plus, l’importante accumulation de ressources dans le fonds de régulation des recettes, soit 4192,5 milliards de dinars à fin novembre 2008 (près de 40 % du PIB estimé pour l’année 2008) conforte la capacité budgétaire de financement du programme d’investissements public, d’autant que la dette publique interne connaît un amenuisement.

Ainsi, la stabilité renforcée du cadre macroéconomique, l’important niveau des réserves de change ainsi que les ressources accumulées dans le fonds de régulation des recettes permettent à l’économie algérienne de faire face sereinement aux effets de la crise financière internationale et de la dégradation marquée de la situation économique mondiale. De plus, le risque de contagion financière pure touchant le secteur bancaire est très limité, en raison notamment de la faible, voire l’absence d’exposition du secteur aux marchés financiers internationaux.

2. Développements récents dans le secteur bancaire
Dans toute économie, le système bancaire et financier joue un rôle déterminant de soutien à l’activité économique. Dans beaucoup de pays émergents et en développement, dont l’Algérie, le rôle des banques dans le financement des investissements productifs est d’autant plus accru en raison du faible niveau de développement des marchés financiers. Il est donc vital pour l’économie, et c’est l’une des leçons à tirer de la crise financière internationale en cours, que la solidité du système bancaire et financier soit renforcée et préservée. Le renforcement de la régulation et de la surveillance du système, en relation avec les stades de développement financier atteints et les objectifs de développement économique, émerge ainsi comme priorité première dans les missions des organes de régulation et de surveillance, en particulier des banques centrales.

2.1. En Algérie, le développement du secteur bancaire a été marqué par une série de réformes engagées depuis la promulgation de la loi bancaire de 1990. Il s’agit, entre autres, de la mise en place de la réglementation bancaire et prudentielle conforme aux standards internationaux, de l’assainissement des banques publiques et leur développement fonctionnel, de la mise en place des organes de supervision
bancaire et leur renforcement en permanence et de l’ouverture du secteur aux
capitaux privés nationaux et étrangers.

Les premières réformes financières engagées au cours des années 1990 se sont accompagnées par des défaillances de petites banques privées, voire la faillite de certaines d’entre elles, débouchant sur des retraits d’agrément entre mi 2003 et début 2006 et l’indemnisation des déposants au moyen des ressources du fonds de garantie des dépôts.

C’est dans un tel contexte d’assainissement du secteur bancaire et en application des dispositions de la nouvelle loi bancaire (ordonnance du 26 août 2003), que des réformes additionnelles ont été entreprises. Ces réformes, engagées dans une situation macroéconomique favorable et visant la stabilité et l’intégrité du système bancaire, ont porté notamment sur :

le renforcement des conditions d’entrée dans le secteur et le relèvement du capital minimum des banques et établissements financiers ;
le renforcement de la supervision des banques et établissements financiers et la mise en place des indicateurs d’alerte précoce ;
la modernisation et le développement des systèmes de paiement, à savoir le RTGS mis en production en février 2006 et le système de télé-compensation en mai 2006. Aussi, l’amélioration des systèmes d’information des banques et la mise en place d’un réseau de télécommunication d’abonnés privés sûr, fiable et sécurisé entre la Banque d’Algérie et les banques ont permis une amélioration significative des services bancaires de base ;
le développement de différents segments du marché de crédit (crédit hypothécaire, crédits aux PME, crédit bail immobilier,…) et l’amélioration du fonctionnement des centrales des risques et d’impayés. De plus, un projet de modernisation intégré des centrales, y compris la centrale des crédits aux particuliers, en tant que nouveau compartiment des centrales intégrées, est en cours de mise en œuvre et vise l’amélioration de la gestion des risques par les banques et établissements financiers.

En plus de ces réformes majeures, des actions ont été menées par l’Etat propriétaire des banques publiques pour améliorer leur gouvernance (contrat de performance avec les présidents des banques publiques, conventions Etat/administrateur,..) et assurer la mise à niveau de leurs fonds propres et ce, en plus de l’assainissement de leurs portefeuilles.

2.2. Sous l’angle des résultats atteints, l’approfondissement des reformes bancaires, principalement entre 2003 et 2008, a permis le renforcement de la stabilité du secteur bancaire. En particulier, sa résilience aux « chocs » s’est relativement consolidée, en contexte d’amélioration progressive de l’intermédiation bancaire et de l’augmentation de l’efficacité fonctionnelle des banques publiques.

Ainsi, l’enjeu pour le secteur bancaire algérien réside dans son développement plutôt que dans sa stabilité. S’agissant d’un secteur bancaire à prédominance publique sous l’angle des actifs et des dépôts, le soutien apporté par l’Etat aux banques publiques durant les quinze dernières années a joué un rôle important en la matière. Ce soutien financier de l’Etat est évalué à 2,6 % du produit intérieur brut en moyenne annuelle pour la période 1991-2002 et 1,7 % pour les années 2005-2006.

La principale caractéristique du secteur financier en Algérie est qu’il reste à vocation bancaire, même si le compartiment obligataire du marché financier s’est rapidement développé à partir de 2004 pour atteindre, à fin 2007, une capitalisation de 3,1% du PIB hors hydrocarbures. Le secteur bancaire reste donc le principal canal de financement des entreprises et des ménages, dans un contexte macro économique d’excès de l’épargne sur l’investissement.

A fin novembre 2008, le secteur bancaire algérien comprend six banques publiques, quatorze banques privées à capitaux étrangers (contre douze à fin 2007), une banque spécialisée dans la distribution de crédits à l’agriculture et cinq établissements financiers (contre six à fin 2007). Ces derniers, conformément à la législation en vigueur, ne collectent pas de dépôts auprès du public. Le réseau d’agences des banques publiques et privées augmente progressivement, soit, en 2007, un guichet bancaire pour 25700 habitants (7870 personnes en âge de travailler). Le taux de bancarisation sous l’angle du développement du réseau reste encore faible comparativement au niveau atteint dans les pays dont le développement est proche de celui de l’Algérie.

Sous l’angle de la solvabilité des banques, et à fin 2007, le ratio fonds propres/risques encourus se situe en moyenne à 12,85 % contre 15,15 % à fin 2006 ; les banques ayant provisionné davantage en 2007. Le ratio de couverture des risques se situe entre 11,3 % et 20 % pour les pays de la rive sud de la méditerranée, sachant que le ratio réglementaire est de 12 % dans certains de ces pays. Par ailleurs, le ratio fonds propres de base/total des actifs nets des provisions constituées est de 6,39 % à fin octobre 2008 pour les banques exerçant en Algérie, soit un niveau relativement faible par rapport au taux moyen des pays de la région. Cette faiblesse des fonds propres de base des banques exerçant en Algérie est confirmée par le niveau du ratio fonds propres de base/total des engagements qui est estimé à 6,43 % à fin octobre 2008.

En terme de taille du secteur bancaire, à la lumière des ratios utilisés au niveau international, le premier indicateur représenté par le ratio masse monétaire M2/produit intérieur brut montre une expansion progressive du secteur bancaire en Algérie : 53,8 % en 2005, 56,7 % en 2006 et 64,4 % en 2007. Ce ratio est estimé à 62,1 % à fin 2008, en raison d’un fort recul du taux de croissance de M2 à 14 % contre 24,2 % en 2007. Le niveau de ce ratio ne traduit pas pleinement le développement du secteur bancaire en Algérie, car une partie de l’épargne budgétaire est accumulée dans le Fonds de régulation des recettes, c’est-à-dire de la monnaie centrale qui ne fait pas partie de la masse monétaire M2 (monnaie au sens large). En intégrant ce type de monnaie centrale dans M2, pour rendre le ratio comparable à ceux des pays de la région, l’indicateur atteint 99 % en 2007 contre 93 % en 2006 et 78,2 % en 2005. Pour l’année 2008, il est estimé à 100,2 %. A fin 2007, le ratio M2/PIB est de 65,4 % pour la Tunisie et 104,8 % pour le Maroc.

Le second indicateur du développement du secteur bancaire, représenté par le rapport entre le total des actifs des banques et le produit intérieur brut, se situe pour les banques en Algérie à 69,2 % en 2007 contre 60,7 % en 2006 et 54,7 % en 2005. Il est estimé à 67 % en 2008.

Ce ratio est plus élevé, en prenant le total des actifs hors dépôts du secteur des hydrocarbures qui sont en dernier ressort auprès de la Banque d’Algérie, et rapporté au PIB hors hydrocarbures, soit 99,3 % en 2007 contre 95,8 % en 2006 et 86,4 % en 2005. Ce ratio qui traduit mieux l’effort du financement bancaire de l’économie nationale est estimé à 100,8 % pour l’année 2008.

Avec le développement et la modernisation des systèmes de paiements en 2006, le RTGS traitant un montant moyen quotidien de 2363 milliards de dinars en 2008 et la télé compensation un nombre moyen quotidien d’opérations compensées de 38357, la qualité des services bancaires s’est progressivement améliorée à en juger par :
 

la diminution des délais de recouvrement des instruments de paiements ;
la gestion et le suivi régulier des comptes de la clientèle ;
et les progrès en matière d’analyse, de suivi et de maîtrise des risques bancaires.

Corrélativement, le management des banques publiques connaît une amélioration impulsée par l’Etat actionnaire.

En tant que troisième indicateur de la taille du secteur bancaire, la collecte des ressources a progressé relativement au produit intérieur brut : 39,1 % en 2005, 41,3 % en 2006, 48,5 % en 2007 et 46,8 % estimé à fin 2008. Ce ratio ajusté, c’est-à-dire « dépôts hors hydrocarbures/PIB hors hydrocarbures », est passé de 58,5 % en 2005 à 60,1 % en 2006, puis de 62,4 % en 2007 à un niveau estimé à 63,9 % en 2008. Un tel ratio ajusté exprime mieux l’effort de collecte de l’épargne financière par les banques en Algérie. Pour les pays de la rive sud de la Méditerranée et à fin 2007, cet indicateur se situe entre 45,4 % pour la Syrie et 119,1 % pour la Jordanie.

Le quatrième indicateur portant sur l’intermédiation bancaire, vue sous l’angle duratio crédits à l’économie (y compris crédits rachetés par l’Etat par obligations émises et non remboursées)/PIB hors hydrocarbures (le secteur des hydrocarbures s’autofinançant), passe de 54,2 % en 2005 à 53,8 % en 2006 et 52,9 % en 2007.
 

Pour l‘année 2008, ce ratio est estimé à 52,5 %, témoignant de la bonne reprise des crédits à l’économie alloués notamment aux financements des investissements et ce, malgré le remboursement par anticipation d’une partie des crédits rachetés par le Trésor. Pour les pays de la rive sud de la Méditerranée et à fin 2007, cet indicateur évolue entre 36,3 % pour la Syrie et 106 % pour la Jordanie. Certains pays de la région ont plus développé les crédits aux ménages.

L’encours des crédits au secteur privé par rapport au total des crédits distribués a progressé significativement, passant de 44 % en 2004 à 53 % en 2007 et 55 % en octobre 2008 ; l’année 2008 enregistrant une croissance des crédits à l’économie de 14 %. En conséquence, le ratio crédits au secteur privé/PIB hors hydrocarbures est passé de 17,6 % en 2004 à 21,3 % en 2005 et 23,3 % en 2007. Son niveau est estimé à 23,3 % en 2008, soit une stabilisation.

Le niveau des crédits aux entreprises privées et ménages enregistre un trend haussier, à en juger par le niveau atteint par l’encours des crédits au secteur privé qui excède celui des crédits au secteur public. A fin 2007, le total des crédits se repartit à concurrence de 47 % de crédits au secteur public et 53 % de crédits au secteur privé, alors que la part secteur privé a atteint jusqu’à 55 % à fin octobre 2008. Il est utile de rappeler qu’à partir de l’année 2006, les banques conduisent des montages financiers pour de grands projets d’investissement, de sorte que les crédits à moyen et long terme atteignent 54,2 % du total des crédits distribués à fin octobre 2008 contre 51,3 % à fin 2007 et 48,1 % à fin 2005.

L’expansion des crédits bancaires à l’investissement ces dernières années se conjugue, cependant, avec des crédits compromis au titre des crédits anciens concentrés qui font l’objet d’importants provisionnements. Avec les mesures en cours visant la mise à niveau des entreprises publiques et privées, le niveau de créances compromises est appelé à s’amenuiser.

En matière de solidité du secteur bancaire, le taux de profitabilité des banques (cinquième indicateur) est en hausse. Aussi, le ratio ROAA (return on average assets) s’améliore passant de 0,89 % en 2006 à 1,06 % en 2007. Le rendement des actifs des banques en Algérie se situe dans la moyenne des pays de la région.

Par ailleurs, le rendement des fonds propres continue à s’améliorer passant de 18,83 % en 2006 à 24,59 % en 2007. Ce niveau place les banques opérant en Algérie dans la tranche supérieure des banques de la région.

Si les actifs liquides relativement au total des actifs restent élevés, passant de 40 % en 2005 à 46 % en 2007 et affectant la profitabilité des banques, notamment des banques publiques, il importe de souligner que le ratio de liquidité (actifs liquides par rapport aux passifs à court terme) est proche de un (0,989 en 2007 contre 0,992 en 2005). Le niveau de ce dernier ratio montre une certaine adéquation entre les ressources et les emplois à court terme, en contexte d’ample liquidité bancaire.

La revue de ces indicateurs de développement du secteur bancaire en Algérie permet d’évaluer le degré de résilience du système bancaire, dans le contexte actuel de grave crise financière internationale.

3. Impact de la crise financière

3.1. Le système financier mondial est en crise depuis plus de quinze mois, avec une intensification à partir de septembre 2008. Pour contenir les effets de cette grave crise financière, les pays développés mettent en œuvre d’importants trains de mesures où les banques centrales se sont d’emblée placées au premier rang en injectant d’importantes liquidités.

La crise financière internationale s’est d’abord manifestée comme une crise de liquidité dès août 2007, quand des perturbations sévères sont apparues sur les marchés monétaires dans les pays développés. Le niveau anormal élevé des spreads sur les marchés monétaires et interbancaires, le raccourcissement des maturités ainsi que le rétrécissement, voire même la disparition de certains segments du marché monétaire en témoignent. Si, plus d’un an après, ces tensions sont toujours présentes sur les marchés monétaires dans les pays développés, affectant le financement de l’économie par le biais notamment du resserrement du crédit, il convient de souligner que l’effet de contagion des marchés financiers, monétaires et de change des pays émergents émerge avec acuité au quatrième trimestre 2008.

Cette crise est apparue aussi comme une crise de la titrisation, car la titrisation a été utilisée dans des structures financières très instables, finançant à court terme des produits complexes et structurés, très peu liquides et à la valeur très incertaine, pendant qu’une notation favorable et une garantie assurantielle permettaient de rehausser artificiellement leur qualité. L’apparition et la montée des créances non performantes, d’abord les défauts sur les crédits subprime, ont alimenté la crise financière qui perdure jusqu’à aujourd’hui malgré les premières mesures de protection. Ainsi, la liquidité apportée par les banques centrales s’est vite asséchée, alors que la succession de dépréciations d’actifs et des pertes
subies érodait la solvabilité des institutions financières de premier rang dont les grandes banques d’investissement ayant abrité une concentration de risques de crédit titrisés. En effet, l’accumulation de dépréciations et de pertes détruit leur capital au point de les conduire à la faillite, à l’exemple de Lehman Brothers.

L’ampleur de la crise est telle que, outre les apports de liquidité substantiels par les banques centrales qui ont aussi ajusté leurs cadres opérationnels, les interventions publiques (Trésor) soutiennent, désormais, le financement et les fonds propres des banques. Dans le cadre de plans de sauvetage de leur système financier, les Gouvernements de plusieurs pays développés garantissent le refinancement des banques, afin qu’elles puissent elles-mêmes financer correctement l’économie, tout en les soutenant par la recapitalisation. Les États interviennent donc pour soutenir la solvabilité et la solidité des banques, à ce stade d’intensification de la crise financière où les problèmes de liquidité restent cruciaux.

Au total, les dépréciations d’actifs et les pertes subies annoncées par un nombre de grandes banques internationales sont évaluées par la Banque des Règlements Internationaux à 650 milliards de dollars. Le Fonds Monétaire International, pour sa part, estime les dépréciations d’actifs et les pertes subies par les grandes banques internationales, liées au marché financier américain, à plus de 1400 milliards de dollars. Par ailleurs, la Banque d’Angleterre estime à 2800 milliards de dollars (aux prix courants) les pertes inhérentes au « market to market » pour une série de titres et instruments du marché de crédit aux Etats-Unis, dans la Zone euro et au Royaume Uni.

La propagation rapide des effets de la crise financière, avec son intensification à partir de septembre 2008, aux économies émergentes a concerné, dans une large mesure, trois catégories de pays. Les pays avec des déficits de comptes courants extérieurs qui éprouvent des difficultés grandissantes pour mobiliser les financements extérieurs requis, compte tenu de la très forte contraction des financements extérieurs et du durcissement brusque de leurs conditions. Les pays ayant une importante dette extérieure à court terme (engagements à court terme des banques) et qui doivent faire face à des paiements de service de dette extérieure significatifs à courte période, au titre des niveaux élevés des dettes des entreprises libellées en devises étrangères. Dans plusieurs cas, une forte expansion de crédits bancaires a été financée par des emprunts sur le marché bancaire international. Enfin, il faut relever le cas des pays producteurs de produits de base et de matières premières qui ont dépensé plutôt qu’épargné les surcroîts de ressources inhérents aux prix élevés de ces produits.

L’acuité de la contagion rapide des marchés émergents a vite fait émerger les problèmes de financements extérieurs de certains pays émergents qui connaissent une crise de balance des paiements extérieurs et ont même recourir, dès octobre 2008, aux financements exceptionnels du Fonds Monétaire International. Pour faire face aux demandes de financements et affronter la crise financière actuelle, le FMI a créé, le 29 octobre 2008, la « facilité de liquidité à court terme », permettant un décaissement rapide jusqu’à 500 % de la quote-part, au profit des pays membres dotés de solides politiques économiques mais qui se trouvent confrontés à des problèmes de liquidité sur les marchés mondiaux des capitaux.
 
Par ailleurs, pour contribuer à améliorer les conditions de liquidités sur les marchés financiers mondiaux ainsi que la levée de financements en devises par certains pays, la Réserve Fédérale des Etats-Unis, la Banque Centrale du Brésil, la Banque du Mexique, la Banque de Corée et les autorités monétaires de Singapour ont annoncé, le 29 octobre 2008, la mise en place de « swaps » temporaires de devises (accords de crédit réciproques). De plus, afin de permettre à certaines banques étrangères d’obtenir des liquidités en francs suisses, la Banque Nationale Suisse et la Banque Centrale Européenne ont conclu un accord swap.
 

Sous l’angle de la surveillance et de la supervision des systèmes financiers des pays développés, la crise a mis en évidence la nécessité de repenser les fondements de la réglementation bancaire et financière, de renforcer la gestion des risques et de revoir l’organisation des marchés financiers. Il s‘agira, en particulier, de porter l’attention sur l’architecture de la supervision, avec une interaction plus forte entre la supervision et le rôle de prêteur en dernier ressort de la Banque Centrale. Il importe aussi d’intégrer dans la supervision des objectifs de stabilité non pas seulement des institutions, mais du système financier dans son ensemble, en développant une politique dite macroprudentielle.

3.2. La revue des indicateurs de stabilité financière montre que les risques purement financiers de contagion sont très limités pour l’Algérie qui, ces dernières années, a :

mené une gestion prudente des réserves de change (absence d’investissement dans les actifs risqués), en veillant à l’objectif stratégique d’immuniser les portefeuilles d’actifs (réserves officielles de change) contre toute perte de capital. Dans le respect de ce cadre de gestion prudente, le taux de rendement réalisé par la Banque d’Algérie a atteint 4,6 % en 2007 ;
réduit fortement l’endettement extérieur en 2005 – 2006, après avoir limité fortement les flux d’endettement extérieur dès le début des années 2000. En particulier, les engagements des banques opérant en Algérie envers l’étranger représentent moins de 1 % de leurs ressources et l’encours de la dette extérieure à moyen et long terme n’est plus que de 3,9 milliards de dollars à fin novembre 2008 ;
épargné une partie des surcroîts de ressources budgétaires, avec une épargne budgétaire supérieure à 20 % du PIB en moyenne annuelle pour les années 2005-2007 ;
accumulé d’une manière soutenue des ressources au niveau du fonds de régulation des recettes ;
privilégié le financement interne (en dinars) de l’économie, vu l’excès d’épargne sur l’investissement matérialisé, notamment, par le caractère
structurel de l’excès de liquidité sur le marché monétaire ;
développé le segment obligataire du marché financier, sans recourir aux investissements de portefeuille des non résidents.

Ancrée sur ces différents acquis, la nécessaire poursuite de l’amélioration de l’intermédiation financière permettrait de mieux canaliser la très forte épargne nationale vers les investissements productifs en soutien à une croissance forte et durable, d’autant plus que le taux d’épargne national est historiquement élevé ces dernières années (57,2 % en 2007 contre 55 % en 2006 et 52 % en 2005). De plus, les banques sont appelées à faire des efforts plus soutenus en matière de financement du développement des PME, pour mieux contribuer à la diversification
de l’économie.

En terme de capacité d’épargnes financières, les ressources nettes du fonds de régulation des recettes (4192,5 milliards de dinars à fin novembre 2008) et l’excès de liquidité des banques (2418 milliards de dinars à fin novembre 2008) permettront de financer les dépenses d’investissement de l’Etat et de couvrir les flux de crédits bancaires sains à l’économie sur une période de plus de deux ans, même à un rythme supérieur à celui enregistré en la matière en 2008.

La nécessaire efficacité fonctionnelle des banques, en tant qu’important élément de résilience du secteur bancaire en Algérie, dans cette situation d’excès de liquidités, exige des progrès additionnels de leur part tant au niveau du suivi des risques de crédit qu’au niveau de la gestion des risques opérationnels. Sous l’angle de leur solidité financière, un niveau approprié de fonds propres de base reste l’élément majeur de nature à endiguer les risques potentiels de vulnérabilité pour les banques, car il est attendu une augmentation des crédits aux entreprises ainsi qu’un amenuisement des risques.

Pour sa part, la Banque d’Algérie continuera de suivre l’évolution de la conjoncture internationale afin de pouvoir évaluer de la manière la plus adéquate possible les risques potentiels, notamment pour le secteur bancaire dont la contribution à une meilleure allocation des ressources pour l’économie nationale est désormais primordiale. Dans cet objectif et pour réguler le marché monétaire, la Banque d’Algérie utilisera avec flexibilité les instruments pertinents de la politique monétaire, tout en conduisant une politique de taux de change en phase avec l’évolution des fondamentaux de l’économie nationale.

Enfin, l’important niveau des réserves officielles de change permet à l’Algérie de faire face sereinement aux chocs externes, si la crise financière internationale, conjuguée à une récession généralisée au niveau mondial, venait à perdurer, dans la mesure les Banques Centrales accumulent des réserves de change principalement pour des raisons de politiques de change mais aussi pour se doter de moyens de faire face aux chocs externes et aux crises.

Au total, la gestion prudente des ressources au cours des dernières années, en contexte de renforcement progressif de la stabilité du système bancaire et financier, permet à l’Algérie d’appréhender aujourd’hui avec sérénité ses objectifs économiques de moyen terme. Il demeure, cependant, que la crise financière internationale et la dégradation corrélative de la situation économique mondiale ont pour effet :

– de réduire la capacité d’épargne du pays. En effet, l’importante chute des prix du pétrole réduit de manière considérable les recettes d’exportations du pays et, partant, la capacité d’épargne budgétaire. Une faiblesse durable des prix du pétrole se traduirait donc par un fort amenuisement de l’épargne accumulée, ainsi que par une baisse corrélative des réserves de changes ;
—- de réduire le rendement sur le placement des réserves de change, conséquence des taux d’intérêts bas sur les marchés internationaux.